Alors que Roman Polanski a sorti son dernier film, Carnage, en décembre, retour sur une interview de Yann Moix, très engagé pour la cause du réalisateur à l’époque, notamment au sein de la revue de Bernard-Henri Lévy La Règle du Jeu. C’était le 25 juin 2010, quelques jours avant que la Suisse ne décide de relâcher l’artiste alors assigné à résidence.
Comment avez-vous commencé à vous impliquer pour la cause de Polanski à la revue La Règle du Jeu ?
Les thèses de l’historienne et psychanalyste Elisabeth Roudinesco pourraient s’appliquer à Polanski. Elle rappelle que l’antijudaïsme médiéval s’exprimait dans la caricature et la dénonciation du juif en tant que détenteur des pouvoirs financiers et intellectuels, et du pouvoir de l’intellect. En cela, la justice californienne serait-elle selon vous une inquisition post-moderne envers Polanski ?
Le problème de Roudinesco c’est qu’à aucun moment de son livre on ne peut conclure qu’elle a une culture hébraïque. Pour Polanski, il y a cette idée que tous se valent. A travers un seul homme, on les vise tous comme dans l’affaire Dreyfus : on a attaqué le juif générique à travers lui. Comme s’ils ne faisaient qu’un. Or, en Israël, la complexité des juifs est totale. Dans ses spectacles, Arthur a par exemple subi les conséquences de la guerre de Gaza (27 décembre 2008 au 18 janvier 2009) comme s’il en était comptable.
En fait le mot juif apparaît dans la presse au moment où Polanski fait Rosemary’s Baby, film jugé insupportable, où de manière artistique il avance que Jésus serait une pièce à 2 faces. Jésus et le diable seraient la même personne. Il y a une sorte de vierge Marie de la bénédiction et de la malédiction. En 1969, l’Eglise ne lui pardonne pas et on se demande qui est ce mec : un métèque juif. La même année sa femme Sharon Tate se fait assassiner par le gang de Charles Manson. Il arrive de Londres, on ne lui laisse pas faire son deuil, mais en plus il est accusé par la presse d’avoir commandité le meurtre. Ici, il y a une référence au rouleau d’Esther (de l’Ancien Testament) avec une inversion carnavalesque du bourreau et de la victime. C’est peut-être théorique et tiré par les cheveux, mais chaque situation d’inversion relève d’antisémitisme pour moi. Le meilleur exemple c’est lorsque Tsahal est appelé SS.
Bernard-Henri Lévy reprend-t-il ce « Tous contre un » ?
A aucun moment, Bernard-Henri Lévy ne va pas aussi loin que moi. Je dis que c’est parce Polanski est juif que ça va si loin. On lui reproche son succès, sa célébrité et son succès auprès des femmes, quand on sait que le juge Rittenband avait à 68 ans des maîtresses de 20 ans. Il y a donc moins de différence qu’entre Polanski et Samantha Geimer.
Avec cette différence importante qu’à 20 ans on est majeur, 21 pour les Etats-Unis.
C’est certain. Et pour moi coucher avec une fille de 13 ans est punissable et mal parce qu’interdit dans l’absolu. En relatif, c’est moins grave que de coucher avec une fille de 6 ans qui ne sait même pas que la sexualité existe. Les malades qui cherchent des filles de 13 ans ont face à eux des filles qui cherchent leur sexualité pour les attirer, parfois les allumer, elles ne sont pas à l’aise vis-à-vis de ça. Pour une fille de 5 ans, la loi est là pour punir l’adulte, pour une fille de 13 ans la loi punit les 2 en disant à la fille attention le fait que tu cherches ta sexualité peut être très dangereux pour toi. Les 2 sont graves, mais il y a un pallier dans la gravité. Je ne défends pas la faute de Polanski à l’égard de Samantha Geimer, mais je n’appelle pas ça pédophilie pour autant.
La loi est néanmoins là pour protéger les mineurs qui ne peuvent par définition se protéger eux-mêmes… A la Règle du jeu, vous pensez que Polanski a été jeté en pâture aux médias ?
Aux médias et à Internet qui est à la fois un média et un moyen de communication : un médium. Il n’y a donc plus de frontière entre le journalisme professionnel et les réactions spontanées des internautes : aveugles, souvent incultes et toujours anonymes. Pour moi c’est le premier lynchage internautique comme Michaël Jackson est la première grande mort universelle car relayée par Internet à la vitesse de la lumière. On a peur de nos propres pulsions. Ceux qui vous fliquent font souvent ce qu’ils vous reprochent, Montaigne l’écrit. Les gens ont la complaisance de décrire les rapports de Polanski comme de vrais malades sexuels. C’est un moyen de faire passer en contrebande leurs propres problèmes par voie de presse…
Quelle utilité ont eu les 2 pétitions initiées et véhiculées par La Règle du Jeu ?
Pour moi, les pétitions comme les colloques n’ont aucune utilité. J’ai signé la première pour être cohérent. Zemmour et Naulleau sont cyniques à la télé en disant que je défends ma famille. Polanski a dû détester Podium, et je ne le connais même pas. Il n’y a pas de famille dans la presse ni dans l’art. Personnellement, j’ai Régis Jauffret et Houellebecq comme amis.
Pourquoi tant de gens se regroupent autour de BHL ?
C’est son secret et sa magie : il met une pression telle sur les gens avec Maria de França qui est rédactrice en chef du site, qu’ils finissent par signer quelque chose qu’ils n’avaient pas envie de signer. Kundera est concerné. La meute existe, c’est l’internet aveugle, l’e-meute. Polanski pourrait se suicider rien qu’en tapant son propre nom sur Google et en y passant 5 minutes.
A-t-il souffert à travers ses parents et ses femmes de choses tellement effroyables qu’il en devienne une enveloppe de ses propres images cinématographiques et de celles de sa vie ?
Exactement. Il se confond avec son œuvre.
Mais avec The Ghost Writer : les journalistes ne s’exonèrent-t-ils pas d’un soutien médiatique qu’ils n’osent pas apporter en encensant le film ?
Le dénouement est mauvais, mais c’est un bon film. Les journalistes s’exposent moins que les artistes. Libération a systématiquement refusé les pages rebonds, avec une peur de publier des opinions qui ne sont pas les mêmes.
A La Règle du jeu, de quelle liberté jouissez-vous ?
Je fais souvent les choses à l’insu de BHL. Il essaie de me raturer, de me reprendre. J’ai écrit un texte sur L’enfant Jésus pour dire que la seule manière d’être fort c’est d’être infiniment faible. Entre pédophilie et théologie, et il faut voir le nombre d’affaires sorties en 2010, on touche à l’enfant et on viole le fondement même de l’Eglise. Mais BHL ne veut pas se mettre à dos l’Eglise catholique, car alors il ne serait pas libre de défendre Israël comme il l’entend. Ce que je dis, il le pense mais ne peut l’écrire parce qu’il est juif. Ce que je fais c’est du pain béni pour lui. Pour les Juifs je suis à la fois une bénédiction et une malédiction parce que j'aborde des thèmes qui les mettent parfois en danger. C’est important qu’un non juif puisse aller jusqu’au bout du processus, car ce langage est interdit aux Juifs.
Quelle est votre définition de l’antisémitisme ?
Mon maître Benny Levy avait lui-même pour maître Levinas. J’ai fait mienne la définition suivante : est juif toute personne à qui l’on viendra rappeler méchamment ou gentiment qu’il est juif. Il y a une irrémissibilité du juif. Cela vient en partie du fait que tant que la judéité sera définie par un lien du sang, ce sera héréditaire.
Le raciste est dérangé par la différence (on a peur de ce qu’on n’est pas). L’antisémitisme, c’est la haine de soi déclenchée par la ressemblance car le juif n’est pas repérable (on a peur de ce qu’on est). Quand on se hait soi même on va chercher celui qui nous ressemble le plus. En somme le raciste est plus sain que l’antisémite. L’antisémitisme dans l’affaire Polanski est la confusion entre le procès et la procédure. La punition c’est le procès : 33 ans de harcèlement !
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