lundi 8 novembre 2010

"Wartime Lies" (les enfants savent mentir)

Plus qu'une terrible fable sur la perte d'innocence et le mensonge, cette éducation polonaise écrite par le méconnu Louis Begley et que devait porter à l'écran Stanley Kubrik est une Iliade et une Odyssée européenne. Wartime Lies est un court roman qui pose une question lancinante : quelles forces gouvernent le sort et la survie ? 
  
Pour Maciek, l'enfant présent dans l'histoire, la guerre est d'abord un bruit de bottes lointain, dont l'abstraction permet pour un temps une éducation maternelle et sensorielle.
Quand les bruits sont là, la guerre est partout et tout le temps signifiante, à l'intérieur comme à l'extérieur de soi.
Un demi-siècle plus tard, la même personne, à la fois étrangère à elle-même et obsédée par son histoire, se demande qui jouait le rôle des dieux des récits mythiques agissant les forces d'un monde en train d'être englouti.
Je pense pour moi que c'est le narrateur le dieu de ces mensonges sacrés qui lui ont sauvé la vie, en lui en ôtant le sens.
Fasciné par Kafka à qui il a consacré un essai (The Tremendous World I Have Inside my Head, 2008), l'auteur est parvenu à recomposer à partir de ses souvenirs le tribunal intime d'un enfant qui a fait l'apprentissage de la survie par la honte. Un sentiment amené à muter selon les âges.

Abandon et reprise

L'histoire de Maciek et aussi celle de sa tante Tania qui le protège pendant leurs années de fuite à l'intérieur du chaos qu'est à l'époque la Pologne des années 40. Ainsi, le livre pose la question : comment fuir en restant au milieu des autres ? Et comment se camoufler alors que l'on attend des enfants qu'ils ne sachent pas mentir ? Uma Thurman s'était vu proposer le rôle par Stanley Kubrick, lequel aurait abandonné le projet Aryan Papers au bout de 2 ans en 1993, découragé - à ce qu'on a dit - par la sortie de La Liste de Schindler de Spielberg. Cela a de quoi surprendre : Kubrick aurait eu peur de la concurrence, plutôt que de la difficulté de représenter une histoire de la Seconde Guerre Mondiale. Or, en abandonnant Wartime Lies, le réalisateur n'a fait qu'en retarder la postérité. Jamais je n'aurais eu l'idée d'acheter ce livre si Kubrick n'avait pas décidé de ne pas faire son film. C'est comme s'il avait voulu défendre l'œuvre initiale, même à retardement, en ne l'adaptant pas.

La réalité est surement plus triviale. Ça ne s'est pas fait, c'est tout. Mais William Monahan, surtout réputé pour avoir écrit le scénario de Les Infiltrés de Scorcese, aurait adapté le texte initial. Le film est attendu pour 2011. Il sera automatiquement soumis au baromètre du Pianiste de Polanski, qui fait encore autorité. Il faudra donc beaucoup d'audace pour que Kubrick ne se retourne pas dans sa tombe.