lundi 22 février 2010

Mezzanine VS Heligoland, de Massive Attack


De Massive Attack, j'ai toujours ignoré les deux premiers albums fondateurs quasiment à eux seuls du "label" trip hop : Blue Lines (1991) et Protection (1994). Non par snobisme, mais seulement parce que Mezzanine qui m'a été offert en 1998 m'a ouvert les portes d'un monde forclos dont je ne suis peut-être pas encore sorti assez pour réévaluer les autres productions du crew de Bristol. C'est plus fort que moi, je n'arrive pas à l'envisager comme autre chose que le groupe qui a sorti Mezzanine, album que j'emmènerais sur une île pas tout à fait déserte avec Laughing Stock de Talk Talk, Grace, OK Computer et Kid A, Homogenic éventuellement, Ágætis Byrjun et Go de Jónsi (il faut toujours prévoir un disque qui n'est pas encore sorti), Think Tank et Le Fil - s'il fallait se borner aux deux dernières décennies.
Mezzanine représente aussi l'époque où Massive Attack sortait encore des disques à allure quasi régulière. Et puis un blanc de 5 ans, et puis un de 7. Portishead tenant le record avec 11 années de quasi silence, mais c'était dans leur cas inévitable et noble. Mezzanine a marqué au fer rouge ma mémoire et mes réflexes auditifs en ce sens qu'il y a 12 ans, ses talk over rampants étaient pour moi inintelligibles, que je ne comprenais pas comment les sons s'imbriquaient etc. Cet album avec sa pochette noire de jet et sa rondelle orange vif était une forteresse inviolable avec pour Cerbère cet espèce de "beatle" en alliage photographié sous toutes les coutures.

Monoparental. Reprenons 100th Window deux secondes, et pas à la légère. Il comporte trois morceaux au potentiel monstrueux : "Future Proof", "Small Time Shot Away" et "Antistar", tous trois chantés par 3D pour un album conçu et accouché par 3D qui a gardé sur Heligoland cet horrible voix passée au vocoder, avec un traitement anti-âge repoussant. Sur le plan purement musical, les tons tantôt artificiellement chauds, tantôt volontairement aseptisés de 100th Window en fond un album monoparental, pas assez armé pour résister à l'épreuve du temps. Un disque plus arrangé sous l'influence du chloroforme que de la mescaline.

Audaces. Heligoland est bien plus organique. Sans être au niveau de Mezzanine, il a des audaces et suscite par moments un trouble dont les remous saisissent un peu plus à chaque écoute si seulement on décide d'y être attentif. Il ne vous prend jamais comme le drone introductif de Mezzanine, la boîte à rythme et la voix ensorceleuse de Teardrop, les samples orientalisant et passés au mixeur d'Inertia Creep.
Or, depuis des mois on buzzait partout sur le casting vocal impressionnant du nouveau Massive Attack. La nouveauté vient des collaborations masculines de Guy Garvey dont le groupe Elbow avait repris Teardrop il y a quelques années ou de Damon Albarn, un peu en dessous ce coup-ci. Sa "performance" vient renforcer un sentiment de malaise insidieux mais présent sur chaque disque de Massive Attack et très difficile à définir. Écouter Massive Attack c'est un peu comme boire un café à 18h sans rien dans le ventre.

Rencontres du 3è type. "Pray For Rain" ouvre le disque avec un roulis de batterie sèches malaxé par la basse, et un piano discrètement dissonant, avec quelques nappes en sous-main. La voix de Guy Garvey est à contre-emploie des disques d'Elbow, extrêmement peu lyrique, elle est superposée à celle du chanteur de TV On The Radio, groupe dont l'influence est notoire sur Heligoland. "Girl I miss you" est un incroyable mélange du Volta de Björk et du dernier TV on The Radio. Mais au milieu de "Pray For Rain", les gars de Bristol ont dû croire de bon goût d'ajouter un passage type "rencontres du 3è type" avant de le redémarrer un peu sali à 5"30'. Surement trop de Tropico arrangé... On entend en 5ème position un flamenco façon 100th Window. Puis, après le single d'une extrême sobriété et sensibilité, plus rien ne convainc vraiment.

Heligoland, album qui reprend sur sa pochette les couleurs de Mezzanine en négatif, dans une dominante orange, n'est pas "le retour aux sources noires" annoncé dans la presse, mais il regorge pourtant de surprises. Et il va dans le sens d'une évolution actuelle : celle d'inventer une sorte de drum n' bass qui suscite des voix en les mettant au centre de toute chose, et qui donne de la mélodicité aux pulsations. On pense au travail de Beck pour Charlotte Gainsbourg, des Kills, de Thom Yorke, de Björk, et surtout de Camille.

mardi 2 février 2010

Le Grammy de Phoenix va-t-il changer quelque chose ?

Dans la nuit de dimanche à lundi au Staples Senter de Los Angeles, Phoenix a été le premier groupe français à recevoir un Grammy Awards dans la catégorie "best alternative music album".

Phoenix reçoit donc ce prix après des groupes comme The White Stripes, Coldplay ou Radiohead l'an passé avec In Rainbows. C'est dire si ce prix consacre plus qu'il ne révèle.
Or, Phoenix chante en anglais depuis plus de dix ans et maintenant quatre albums. Dans la décennie, on a vu apparaître des groupes plus ou moins folk comme Syd Matters et Cyan & Ben ayant choisi la même option. Puis ce fut la vague rock parisienne avec Hush Puppies, Stuck in th Sound, Nelson. Les plus commerciaux, venant des lycées les plus chics de Paris auront fini par percé à Taratata ou au Grand Journal : BB Brunes, Plasticines... Difficile de dire tout le mal qu'on pense de leurs qualités musicales. Et comme avec Syd Matters, ce sont les moins ouvertement rock qui décrochent la timbale : The Dø ou Moriarty. Depuis Feist a aussi décroché la récompense des meilleures ventes de disques pour une artiste étrangère signée en France pour Let it Die sorti en 2004 chez Polydor. La démarche de Camille est sans doute la plus intéressante de toutes qui, partie d'un disque de chanson en français aux accents folk et bossa, parvient deux disques plus tard à Music Hole (2008) : un album chanté en anglais à 80 %, où le français n'a plus qu'une fonction subliminale ou percussive. Ce qui permet à son auteure de me dire pour VoxPop en avril 2008 qu'elle "ne devient pas anglaise en chantant en anglais", mais qu'elle est "le symptôme d'un monde qui se mélange".

Pour en arriver là, il a fallu que la chanson en français repousse ses limites jusqu'à se perdre volontairement dans les relations entre littérature et musique. Alain Bashung sort L'Imprudence en 2002 qui bouscule toutes les certitudes pour un Dominique A qui en sortant Tout Sera Comme Avant en 2004 essaie de comprendre la méthode employée par le premier. En commandant des nouvelles à partir de titres de ses chansons à des auteurs qu'il affectionne, M. A brouille les frontières entre l'art dit mineur et celui dit majeur. Il montre qu'un disque ne s'arrête pas à ses limites physiques. Et qu'il commence peut-être même avant qu'on ne l'écoute. Noir Désir qui sort le long morceau "L'Europe" en 2001 sur l'album Des visages des figures va au bout de sa logique et de son voyage vers l'irréel, avec le long poème Nous n'avons fait que fuir improvisé sur un morceau d'une heure, joué une seule fois à Montpellier en 2002 et immortalisé sur livre disque publié en 2004 chez Verticales, comme celui de Dominique A.

Certaines productions de Bashung, Noir Désir, Dominique A, et même de Camille descendent de Melody Nelson, le premier des trois concept albums de Gainsbourg. De là à dire qu'elles sont elles aussi des concept albums...

Le monde de la musique américain reconnait aujourd'hui qu'un groupe français a su faire un meilleur disque que les anglo saxons. Et les retombées pourraient être surtout visibles en France, où les directeurs artistes, s'ils existent encore, vont devoir s'aligner sur la demande et faire avec. Une révolution musicale à commencé en France depuis quelques années. Camille est un pont entre la tradition Gainsbourgeoise et la tradition anglo saxonne. Noir Désir s'est éteint. Bashung est mort. Et même Dominique A, sortant La Musique l'an passé, a revisité dans le parti pris des arrangements, ses disques de new wave préférés, optant pour des paroles à la fois anodines et énigmatiques, qui comme en anglais, n'ont pas besoin de chercher la rime pour être belles. Comme s'il cherchait à regagner en fraicheur en se déchargeant de ce qui fait son image de chansonnier intellectuel à la française. Si le marché américain pour qui Phoenix représente 300 000 albums vendus de leur dernier Wolfgang Amadeus Phoenix reconnait que les français décomplexés sont aussi bien placés que les autres pour faire des têtes d'affiche de festival, pourquoi les maisons de disques françaises continuerait à nourrir ses complexes à coup de Mickey 3D ?

A l'heure qu'il est, c'est comme s'il ne s'était rien passé : Phoenix n'est même pas nominés aux victoires de la musique. Faut-il donc se réjouir que le succès du groupe soi un phénomène qui arrive à l'étranger ? Pourquoi pas ? Après tout, Gainsbourg n'était à aux USA à New York, underground, à la différence qu'il chantait en français, et n'avait pas pour objectif de faire comme les américains...