dimanche 28 mars 2010

Obama sceptiques VS Obamaniaques


Le storyteller au carré magique

La postface à l'édition 2008 de Storytelling de Christian Salmon, que j'ai lu comme un possible prolongement à No Logo de Naomi Klein, a proposé quelques pages d'analyse sur la première séquence narrative de Nicolas Sarkozy, Président de la République. A quelques semaines de l'élection de Barack Obama, le président Français ne se montrait pas encore à la parade de Mickey avec Carla Bruni, mais Salmon avait déjà décelé la "feuilletonisation" de sa séquence d'accès au pouvoir, faisant de lui d'office un successeur en la matière de George W. Bush. N'ayant pas encore ajouté de deuxième postface sur la montée en puissance d'Obama, Salmon avait cependant publié quelques articles sur Obama, le démocrate providentiel, prédisant la victoire d'un candidat imbattable : "Obama est de la planète Internet, l'homme des déplacements, et des appartenances multiples. C'est un héros "liquide", en devenir. Deleuzien" écrivait-il dans un article du Monde du 18 octobre 2008.

Les fonctions du "carré magique" qui le caractérise sont les suivantes : la storyline autour de l'identité du candidat, la gestion du timing de la campagne, le framing, c'est-à-dire l'encadrement d'une idéologie métaphorisée, et enfin le networking. Obama répond donc plus qu'aucun homme politique à cette "autoprésentation de soi qui est à la fois écriture et exhibition" (p.225 Storytelling). Il est le premier dans l'histoire dont la candidature fut relayée à ce point par un réseau dépassant les frontières de son pays : l'onde grossissante Facebook. Ceux qui choisirent d'amplifier son message élargirent la notion d'appartenance à un parti et à son candidat. Obama était dans la campagne un visage possible des États-Unis répondant à une espérance mondialisée.

Jean-Michel Apathie : l'Obama sceptique de la première heure

Dans la campagne américaine on n'a vu, de mémoire, aucun homme politique et extrêmement peu de journalistes français critiquer Obama. Sauf Jean-Michel Apathie, Obama sceptique de la première heure, dont j'admire la plupart du temps l'intransigeance, l'ironie, la clairvoyance, la constance dans les thèmes qu'il défend (absentéisme à l'assemblée, augmentation des déficits publics, montée en puissance de la Chine face à une Europe inexistante...), la pédagogie, la lisibilité et tout le travail de référencement, images et discours à l'appui. Par ailleurs, Apathie ne se contente pas de citer largement la presse mais il analyse ce qui a pu, en creux, nous échapper en la lisant. Il est aussi passé docteur ès traduction de rhétorique politicienne, aidé par une théâtralité et une rigueur qui font boire ses paroles comme du petit lait. Ce qu'il critique chez Obama est avant tout sa lenteur à agir.

Le 10 décembre 2009, Obama reçoit le prix Nobel de la Paix, neuf jours après avoir décidé d'envoyer 30000 soldats supplémentaires en Afghanistan. On peut penser que ce prix est plus une incitation qu'une récompense. On a vu d'anciens terroristes décorés de la même distinction, mais comment Obama Nobel de la Paix pourrait encore faire la guerre ? Apathie n'a jamais vraiment cru au "yes we can". Sur son blog, le commentateur réagit à l'annonce concernant l'Afghanistan dans un post du 2 décembre 2009 : "Pourquoi Obama le sage, Obama le pacifique, accroît-il ainsi l’effort de guerre américain ? Parce qu’il y a une différence de taille entre un candidat et un président. Le premier peut dire son horreur de la guerre. Le second accède à des informations, à des données, qui modifient non seulement son jugement, mais aussi son être. La vieille Europe a adoré le candidat Obama. Elle aime déjà moins le président pour cette unique raison qu’il est devenu ce que nous souhaitions qu’il soit : président des États-Unis". Quelques jours plus tard, "Au Grand Journal de Canal +, Apathie bondit et tient à peu près ce langage : "on lui donne le Prix Nobel, mais il a rrrrrrien fait !!! Alors qu'est-ce qu'on va lui donner quand il va commencer à faire quelque chose !!!!". Helen Thomas, matriarche du journalisme de 90 ans, se veut plus pondérée dans Full Access, documentaire de l'envoyée spéciale aux États-Unis Laurence Haïm qui a elle-même suivi Obama de mars à octobre 2009. Après un demi-siècle d'observation à la Maison Blanche, de Kennedy à Obama, Helen Thomas déclare : "Obama penche du bon côté, mais il doit accepter de se faire des ennemis pour faire de grandes choses."

Les rebondissements du vote du texte sur la couverture santé

Le texte de loi sur la couverture santé, Obama en avait fait son premier grand défi au plan intérieur. Le 22 mars dernier, tous les journaux titrent : "Obama remporte un vote historique". Après 48 heures de recherches sans relâche, les Républicains ripostent. Ils ont trouvé deux vices de procédure mineurs qui imposent tout de même un second scrutin. Après l'euphorie, place au scepticisme. On se rend à nouveau compte, vu d'ici, que l'Amérique n'est pas ce que l'on voudrait qu'elle soit, et que faire bouger 300 millions d'Américains sur de telles réformes est un travail herculéen. Depuis le 22 mars, des parlementaires démocrates reçoivent menaces et attaques, assez semblables à celles qu'on peut voir représentées dans le film Harvey Milk. La journaliste Marie Colmant ajoute à l'Édition Spéciale qu'un "sondage édifiant" est sorti dans la presse américaine le 25 mars rapportant ces chiffres : "67% des républicains pensent qu'Obama est socialiste, 57% pensent qu'il est musulman, 38% pensent qu'il mène la même politique que Hitler, 27% d'entre eux sont persuadés qu'Obama est l'Antéchrist !"

Si Apathie se montre aussi réservé sur la présidence d'Obama comme révolution ou disons progrès fulgurant, c'est pour des raisons qui n'ont rien à voir avec l'obscurantisme d'une frange des Républicains. Apathie pense fermement - et le prouve souvent - que la politique occidentale est tombée dans le dire plutôt que dans le faire, car face au nouvel ordre mondial en train de se définir, la marge d'action est de plus en plus réduite. Ce qu'il critique dans l'aveuglement - produit de l'admiration mondialisée d'Obama - c'est une Europe candide, infantile presque, qui fonde encore au XXIème siècle la plupart de ses espoirs de sortie de crises (militaires, économiques, sociétales...) sur le leadership américain. S'il est des plus lucides sur nos illusions, on pourrait quand même défendre, au regard du vote certes serré du 22 mars, qu'Apathie a parlé, comme le président américain le jour de sa "victoire", un peu vite. Obama n'a pas dit son dernier mot. Il sait désormais que chaque victoire politique lui sera contesté, et que son action devra toujours être la plus irréprochable possible pour pouvoir exister.

jeudi 25 mars 2010

Joanna Newsom, géniale et plus douce à l'oreille...

La géniale Joanna Newsom a beaucoup travaillé à maîtriser sa voix et à peaufiner son songwriting depuis son premier album sorti en 2004. Voici un lien trouvé par Thomas Burgel des Inrocks vers un long concert enregistré récemment :


Et ma chronique pour lesInrocks.com, publiée au moment de la sortie de son deuxième album Ys :

http://www.lesinrocks.com/musique/musique-article/article/les-fables-enchantees-de-joanna-newsom-en-ecoute/




lundi 22 mars 2010

La Raffle : archives affectives et archi affectif


L'avantage d'un blog, en plus d'être "illimité" en nombre de signes, c'est de pouvoir faire partager des textes qui autorisent plus facilement le doute que dans la presse. Je peux dire "je" autant que je veux, j'ai le droit de dire "nous". J'essaie d'angler au maximum, mais je reprends souvent mes articles plusieurs semaines après les avoir publiés pour les enrichir d'éléments qui les "désanglent". C'est le cas pour le texte qui suit.

Plus qu'un petit film sur un grand thème, La Rafle pose parfois problème dans la manière dont il suscite son mérite. J'ai tenté de comprendre pourquoi. 

Devoir de mémoire / devoir de critique

La Rafle de Rose Bosch est sorti il y a deux semaines, et il nourrit deux débats récurrents dans les principales critiques. D'un côté, ceux qui éprouvent de la gêne à cause de l'aspect consensuel du drame qui obéit à la logique suivante : parce qu'on n'a pas le droit d'oublier, on est obligé d'aimer. De l'autre, ceux qui - saluant la tentative de scénarisation d'un épisode quasi ignoré au cinéma de l'histoire contemporaine de France - se font les apôtres de la thèse : la représentation sera toujours moins convaincante que l'indiscutable témoignage. Sauf qu'on nous a tellement habitués à des appels à témoins type "ça se discute" ces dernières années qu'il n'est pas forcément mauvais que les survivants du Vel' d'Hiv' viennent enfin cadrer un débat, un "thema", à l'occasion de la sortie d'un film qui se veut être le support d'archives ou de paroles reconnues tardivement.

Si l'on fait abstraction de l'Histoire, pour se focaliser sur la justesse du film, deux choses m'ont contrarié dans La Rafle. J'avais un peu peur de la prestation de Gad Elmaleh. Et à raison : il surjoue. A l'entendre, on est à la limite de se demander s'il a lui-même doublé ses répliques en post-prod. Comme le dit un critique : il semble plus attaché à sa composition qu'à son rôle, voulant produire l'effet inverse. Rien ou presque chez le personnage du père de Joseph Weismann ne porte l'empreinte de sa Pologne natale. A l'instar du Benigni de La Vie Est Belle, il est un peu la caution légère du film. Or, tragédie + humour juif ashkénaze = mélodrame.
Deuxième chose : l'excès de violons tire-larmes sur l'entrée dans le Vélodrome d'Hiver de l'infirmière Annette Monod (honorée à la fin de sa vie du titre de "Juste parmi les nations" par Israël), jouée par Mélanie Laurent. Cette entrée, c'est l'image d'une pénétration de la conscience française dans un endroit refoulé et étouffant dont on n'aura jamais aucune image. Les survivants du Vel' d'Hiv' ont encore dans les oreilles et les narines, si l'on s'en tient aux descriptions qu'ils ont données, le bruit et l'odeur (pour reprendre une expression détestable dans son contexte de Jacques Chirac). Mais nul besoin d'harmoniser le chaos du souvenir en imprégnant les consciences de mélodies classiques. Le bruit indistinct de la masse comme fond d'écran au visage blême et mutique de Mélanie Laurent aurait suffit.

Une seule héroïne : l'infirmière jouée par Mélanie Laurent

Sur le plan de l'équilibre des forces en présence, un autre problème de taille est posé. L'État est diabolisé, particulièrement à travers la figure de Laval, le parfait salaud de l'histoire, là où Pétain semble un vieux grand père un peu dupe. La police, obéissante et sadique l'est plus encore. A contrario le bon peuple de Paris, est à peu de choses près conforme au mythe de la résistance d'après-guerre comme le fait bien remarquer Cécile Mury à Télérama. Il vit la rafle des Juifs comme une amputation. Tout se passe comme si la police et le peuple étaient deux entités bien distinctes. Comme si, venant illustrer le discours très digne de Jacques Chirac de juillet 1995 - premier éclairage d'ampleur sur la tragédie historique de la responsabilité de l'État qui avait secondé le crime nazi -, le film avait aussi pour but de réconcilier les Français avec cette partie de leur passé. Cette réconciliation est médiée par l'identification à la figure protestante que joue Mélanie Laurent, belle Marianne autour de laquelle la mosaïque des histoires singulières s'articule, glu affective et citoyenne du film. L'actrice, dont on sait seulement qu'elle a eu un grand-père déporté dont elle ne veut parler, est particulièrement touchante, animée par une histoire qui ressuscite des oubliés. Comme pour Jean Reno, c'est cette synchronie entre l'expérience d'un rôle vécu à fleur de peau par empathie et le retour du passé, comme une déflagration venue de très loin, qui donne de l'épaisseur aux scènes les plus réussies.

Mais le parti pris cinématographique de la réalisatrice vise à s'assurer que le public trouve supportable d'aller voir le film en s'associant à cette figure soignante. Elle qui câline les petits jusqu'à la fin, qui désire même partir avec eux vers une destination encore inconnue (détail exact comme presque tous), est l'incarnation d'un reste d'humanité dans le camp de Beaune-la-Rolande. Elle choisit d'aller voir le préfet de Paris pour témoigner de ce qu'elle a vu, et à l'inverse des policiers, elle choisit de répondre à la question "qu'est-ce que savoir ?", si chère à Claude Lanzmann. C'est une protestante dans tous les sens du terme. D'ailleurs, en intertexte, au sens de Barthes, on ne peut pas ne pas avoir à l'esprit les deux rôles joués par Mélanie Laurent et Denis Ménochet dans le dernier Tarantino. L'une joue Shoshanna Dreyfus, jeune juive traquée par Hans Landa (Christoph Waltz, dans une prestation dont on se délecte), le second joue Pierre La Padite, un fermier qui cache Shoshanna et ses sœurs. On garde ainsi un souvenir du très dur adjudant du camp du Loiret teinté d'humanité, et de son infirmière comme d'une vengeresse, prise à travers des feux croisés. C'est la sortie rapprochée des deux films, dans deux registres opposés et complémentaires, en yin / yang, qui autorise ce voisinage des impressions, cette sensation physique que les acteurs sont sortis de leur tableau, comme le tyran de Takikardie dans Le Roi et L'Oiseau.

La Rafle rétablit donc l'empathie en même temps qu'une partie de la réalité historique, là où Inglorious Basterds de Tarantino fait délirer l'Histoire afin que le cinéma prenne sa revanche sur le nazisme. La vengeance est chez l'Américain comme une jouissance qui fait triompher a posteriori Hollywood sur la propagande de Goebbels. On joue propagande contre propagande, à armes inégales. Le spectacle du massacre des nazis est juste "la meilleure sortie de cinéma" que l'on puisse rêver de voir. La transgression historique ultime étant de les rendre effrayants tout en les ridiculisant.

Archéologie affective et historique

La Rafle est le produit d'un travail journaliste et historique - discuté par des survivants des camps français comme Michel Muller - assisté par Serge Klarsfeld. Grâce aux témoignages de survivants, on obtient une sorte d'archéologie à la fois affective et historique. Or, comme l'écrit Boris Cyrulnik dans Autobiographie d'un Epouvantail, "la véritié narrative n'est (...) pas tout à fait la vérité historique. L'historien part à la recherche d'archives qui tiennent ensemble grâce à une théorie qui leur donne cohérence. Alors que le récit que vous faites de votre existence n'est composé que d'événements relationnels où vous revoyez le film de vos rencontres amicales, de vos rituels familiaux ou des conflits avec votre entourage. Le socle de votre biographie est rempli par ce que vous avez extrait de votre contexte : votre monde intime est peuplé par les autres !". C'est ainsi lorsque l'histoire ne témoigne pas "d'elle-même". Il faut peut-être un film, ou une œuvre de fiction, pour que s'harmonisent récits intimes et récits d'alentour (familiaux, sociaux, culturels...).

Lorsque Lanzmann fait témoigner Jan Karski dans son film Le Rapport Karski, fraîchement diffusé sur Arte, c'est du théâtre mais c'est aussi sa vérité historique qu'il donne pour des faits qu'il est pratiquement le seul à pouvoir attester. Sans ce document, le livre Jan Karski de Yannick Haenel, qui romance la réaction de Roosevelt de manière totalement erronée à l'annonce du massacre des Juifs, peut être pris comme un "scoop littéraire", même si le livre est édité dans la catégorie roman.

Si Liberté de Tony Gatlif, sur le sort des Tziganes pendant les années d'occupation, est dit "inspiré de faits réels", La Rafle est précédé de la mention : "tous les événements du film ont vraiment eu lieu lors de l'été 1942". Pourquoi alors enjoliver certains détails ? Il y a en ce sens de nombreux morphings entre les images d'archives et les images du film qui s'ouvre sur des scènes type "Les Choristes à Montmatre" que certains journaux trouveront insupportables. Je ne peux à ce propos me résoudre à comprendre comment, lorsqu'il s'agit d'un film aussi kitsch mais agréable que Crazy Heart, la plupart des critiques se touchent sur le vieux chanteur country alcoolique, les bouges sudistes où il se produit, le pathos de son histoire d'amour, alors qu'il ont en détestation le Montmartre d'avant-guerre, celui post Mac Orlan des gosses en béret et en culotte courte qui s'attendent au coin d'une butte pour aller à l'école et croisent sur leur chemin quelque boulangère vulgaire et parfois raciste. On ne peut pas intenter à La Rafle le même procès qu'à Amélie Poulain dont l'action était contemporaine à la sortie du film.

On a aussi peine à trouver crédible les scènes représentant Hitler en bonne compagnie au niz d'aigle jusqu'à ce qu'on passe de la fiction à l'image d'archive, et que la démonstration convainque un peu. Cette équivalence entre la fiction et l'archive est sans cesse en démonstration dans le film, ce que Didier Perron à Libération appelle : "chantage à l'exactitude" (le genre de formule qui fait de beaux chapos journalistiques, mais il faut bien frapper, être un "tireur d'élite" comme disait Gainsbourg). Et c'est ce qui a mis mal à l'aise les critiques, arguant de la vanité d'une telle tentative de représentation au cinéma. Mais si la littérature le fait, pourquoi pas le cinéma ? Par contre, au moindre écart esthétique, sémantique... Le film perd de fait le double de points et se retrouve avec une note passable. Et tandis que Monumenta, la dernière installation de Christian Boltanski au Grand Palais invente une fiction d'archives dont se détache "une impression de mémoire", La Rafle provoque la rencontre d'histoires personnelles avec l'histoire collective qui est vécue pour la plupart des critiques comme une injonction à la mémoire, du fait de la place prise tout d'un coup par ces "vies minuscules".

Pour en savoir plus sur les camps d'internements du Loiret, se reporter au site internet du CERCIL, centre de recherche basé à Orléans :
http://www.ac-orleans-tours.fr/culture/cercil.htm

dimanche 7 mars 2010

Deadhorse : Mark Linkous s'est suicidé


J'ai appris aujourd'hui avec beaucoup de tristesse la mort de Marc Linkous, cavalier seul de Sparklehorse, groupe américain fondateur d'une country punk, fille de Neil Young, au milieu des années 90.

La liste des musiciens morts de maladie ou qui ont choisi de mettre fin à leurs jours s'allonge... Après Vic Chesnutt il y a quelques semaines - un possible frère d'infortune pour Mark Linkous - Llassa et Mano Solo. Depuis l'hécatombe Kurt Cobain, Jeff Buckley, Elliott Smith, les choses semblaient s'être un peu calmées, au moins dans le tout petit monde du rock.
Beaucoup de ces chanteurs choisissent d'explorer leur part la plus sombre. Marc Oliver Everett, dit E, le chanteur de Eels, a connu des drames innombrables. Il est toujours là... Bizarrement j'ai immédiatement pensé à lui après l'annonce du décès de Linkous.

Mark Linkous était sans doute auto-destructeur. Il était réputé avoir des phases apathiques. Je me souviens la première fois que je l'ai vu en live à Canal +, chapeau de cowboy enfoncé sur ses longues mèches noires, contrôlant ses pédales d'effets sur une chaise roulante, l'air ailleurs. Le pire est que ça lui allait aussi bien que Kurt Cobain se faisant conduire sur la grande scène de Reading en 1992, jouant au vieillard paralytique. Sparklehorse donc, mais pattes cassées, et c'est fatal pour un cheval. En 1997, après avoir récupéré de cette paralysie, séquelle laissée par une overdose, il remontait sur scène debout pour une tournée des Zenith en première partie de Radiohead, et c'était aussi curieux que de voir pour la première fois Ben Harper se lever de son fauteuil de jeune sage, d'autant que Linkous était plutôt un géant.

Ses concerts étaient parfaitement inégaux. En 2001, il donna une poignées de concerts sublimes avec beaucoup de cordes, violons, guitares pour promouvoir son plus bel album It's a wonderful life. L'année d'après au festival des Inrocks on le vit faire une mauvaise prestation, formule White Stripes, assez désincarnée, et loin de son public. S'en étaient suivies quelques années de semi hibernation, entrecoupées de collaborations avec l'électronicien Fennesz et le producteur Danger Mouse pour inventer des formes plus originales que les D.A. d'EMI n'ont pas "validées" à temps... Comme Vic Chesnutt, Mark Linkous avait gardé sa base d'admirateurs indés, mais ce n'était sans doute pas suffisant pour vivre correctement de son art. Aujourd'hui, je me demande comme EMI fait pour garder des artistes comme Jonsi, de Sigur Ros.

En fin 2006, je devais interviewer Mark Linkous, mais il s'était rétracté. On m'avait prévenu qu'il était coriace et pas très loquace. Thom Yorke, PJ Harvey ou Tom Waits en parleront certainement mieux dans les jours prochains. Chroniquant l'album Dreamt for light years in the belly of a mountain pour LesInrocks.com, je ne me rendais pas compte en décrivant ce que pouvait vouloir dire l'instrumental final que les mots que j'employais évoquaient une sorte de longue piste vers la mort.

http://www.lesinrocks.com/musique/musique-article/article/mark-linkous-cavalier-seul-de-sparklehorse-sur-les-inrockscom/