lundi 30 janvier 2012

Entretien avec Damien Gugenheim à l'occasion de son exposition de photos tirées du livre JuxtAPOsitioNs qu'il vient de faire paraître

Il est diplômé d'école d'audio-visuel et de langues orientales. Il parle japonais et commence à connaître le pays pratiquement comme sa poche pour l'avoir parcouru en partie au cours de 5 voyages en dix ans. Il est même capable de merveilles avec un compact numérique standard. A 28 ans, le photographe parisien Damien Gugenheim a, on l'aura compris, 2 passions qui se nourrissent, se répondent, et se juxtaposent. A découvrir dans un ouvrage qui superpose mouvement, transport et suspension du temps, et en exposition à Amiens jusqu'au 25 février. 

Qu'est-ce qui est venu en premier : ta passion pour le Japon ou pour la photo ?

"Message", © Damien Gugenheim
Damien Gugenheim : « c'est un peu mélangé, mais je dirais plutôt ma passion pour le Japon, même si ma passion pour la photo est plus grande. J'ai commencé à vouloir faire des photos fin 1997. Ma grande sœur avait un appareil reflex, ça m'a donné envie. J'ai commencé à m'intéresser au Japon en 1999 dès les premiers mois de cours de japonais que je suivais. J'ai découvert que j'adorais vraiment la photo en 2003. J’étais alors en école d’audiovisuel. Petit à petit j'ai découvert que je préférais l'image fixe au cinéma. Mais mon appareil est tombé en panne et je ne m'en suis procuré un nouveau qu'en 2004. Pendant un an je n'ai donc fait qu'observer, analyser, apprendre la théorie. »

Combien de voyages au Japon as-tu fait ?
« 5 en tout. J'avais déjà eu la chance de partir au Japon pour la première fois en 2000 pendant un mois et demi. Les 3 premières fois ont ressemblé à des séjours plus qu'à des voyages. La quatrième fois a été forte. Je sentais qu'il se passait quelque chose, en photo particulièrement. En 2005 j’y suis retourné seul, et ce voyage a lié les deux passions. J’avais gagné un prix qui prenait en charge les billets d’avion et une somme d’argent couvrant les frais sur place dans le cadre d’un concours de discours organisé par une association placée sous le patronage des divers institutions de collaboration franco-japonaise. J’avais donc l’esprit libre. Je me déplaçais en train et campais. De là viennent mes premières vraies bonnes photos. J’ai photographié une ville par jour pendant 3 semaines. »

Sur quoi travailles-tu en photo ? Quels motifs ? Quelles techniques ? Quels appareils ?
« Le mystère, la multiplication, la répétition, les choses / les machines / les objets qui prennent vie, la solitude aussi. Les portraits me touchent moins. J’en prends assez peu car j'ai l'impression, à quelques exceptions près, qu’ils se ressemblent tous. Niveau matériel, mon premier reflex a été le Pentax MZ-50. Puis le Olympus OM-20 (très bien !) qui m'a accompagné au Japon en 2005, et maintenant le Nikon F3 qui est agréable à manipuler. J'ai aussi un Mamiya 645 Pro que je n'utilise pas souvent car il est un peu trop lourd et encombrant, et bien sûr, en numérique, le Canon Ixus 860 IS. Je n'ai donc pas de marque favorite. Mon prochain appareil sera peut-être un Fuji ou un Hasselblad. Je ne sais pas si j'ai une technique particulière, à part pour le dessin sur pellicule, mais c'est une autre histoire. Pour le noir et blanc je développe mes films et tire mes images manuellement. Je pense avoir vu suffisamment d'images en provenance du Japon pour que ça influe sur mon travail photographique, sans avoir non plus une approche de l’image typiquement japonaise. En général je fais des images simples à comprendre, mais j'aime aussi les autres ! »

"J'aime voir les photos comme des moments finis et infinis en même temps"

Que tu aies fait les photos de JuxtAPOsitioNs avec un appareil numérique standard, compact, en étonnera plus d'un. Peut-on dire que l’œil du photographe prime ?
« Oui, il y a de ça, mais avant tout il faut se laisser imprégner par ce qui nous entoure, ressentir quelque chose, et donc prendre son temps. Et avoir son appareil avec soi. Une photo peut être ratée, au moins on l'aura prise. Il y a aussi un travail d'observation lors de l'editing, le choix des photos. Essayer de comprendre pourquoi telle photo fonctionne et pas une autre, qui fonctionnera peut-être plus tard. Ce n'est pas un travail si instantané. La lumière est importante, c'est vrai, c'est elle qui crée l'ambiance. C'est elle qui fait qu'on peut exposer comme on le désire. »

Quelle est la différence entre la juxtaposition et l'analogie dans ton livre ? Tu sembles expliquer que la juxtaposition est comme le chaos de la mémoire ; au moment de quitter un endroit on revoit des images en puzzle. Alors que l'analogie est plus une façon d'associer délibérément 2 choses pour les renforcer ou les faire correspondre.
« La mise en place des photos ensemble dans le livre a bien entendu été réfléchie. Cependant, d'autres combinaisons sont aussi possibles. Mais je voulais montrer comment une photo pouvait faire entrer en résonance une autre, comme dans les associations de pensée. L'analogie est la "ressemblance" plus ou moins lointaine, tandis que la juxtaposition est le moyen de mieux montrer cette ressemblance, ou de la faire naître. »

As-tu vraiment voulu faire un livre sur le Japon, ou surtout sur la ville et ses métamorphoses dans le temps à travers Tokyo, Kyoto, tel que tu l'expliques en avant-propos ?
« Je n'étais pas parti au Japon dans l'optique de faire un livre, mais dans l'optique de rester dans le même lieu pendant assez longtemps pour voir l'évolution de ce lieu et des gens qui y habitent. Mais à partir du moment où je prenais ce lieu en photo, il était clair que j'allais montrer ses transformations dans le temps. »

 "Invasion", © Damien Gugenheim
"Je travail sur le mystère, la multiplication, la répétition, les choses / les machines / les objets qui prennent vie, la solitude."

Tu confrontes 2 conceptions du temps  : l'une assez occidentale de la linéarité ("comme tout voyage ce livre a une fin"), mais tu suggères aussi l'inverse un peu comme un mot palindrome ou un chiasme ("ou bien est-ce l'inverse : comme toute fin, il y a un voyage"). Et cela semble complètement correspondre à la conception cyclique extrême orientale du temps. On le sent dans ta démarche (déplacement jour et nuit, au fil des saisons, aller retour), mais comme as-tu fait pour que ce soit sensible dans tes photos ?
« Question difficile ! Le livre, comme le voyage ont une fin "physique". Mais qui ne se replonge pas à l’occasion dans un livre, ou y repense, comme on repense à un voyage qui nous a marqués ? Les voyages font partie des événements marquants de notre vie, qui s'inscrivent en nous. J'aime voir les photos comme des moments finis et infinis en même temps. C'est peut-être pour cela que j'ai du mal avec les portraits. »

Comment te prépares-tu, après avoir mis tes souvenirs en livre, à mettre le livre en expo ?
« Ce n'est pas facile car il y a des contraintes techniques. En tout cas je ne veux pas exposer le livre tel quel en photos grands formats. Cela n'aurait aucun intérêt. Les photos seront donc présentées seules et non par paires.
Pour cette expo il y aura une dizaine de photos. 2 très grands formats, 3 petits et 5 de taille moyenne. Les 2 grandes photos seront exposées l'une à côté de l'autre, mais ne formeront pas une paire comme dans le livre. L'une des photos de taille moyenne devrait être toute seule et les 3 petites seront présentées verticalement. Je m'adapte au lieu en quelque sorte. C'est le principe d'une exposition : il y a des contraintes, mais de ces contraintes (d'espace généralement) peuvent naître des idées intéressantes."

Tes prochains projets ? Ce livre te donne-t-il d'autres idées de voyages au Japon ou ailleurs ?
« J'aimerais enfin finir ma série sur les sanctuaires commencées en 2005, peut-être pour en faire un livre également, et donc pour cela repartir au Japon. J'aimerais également exposer mes séries sur les machines. En gros, pour l'instant, finir les projets commencés. Et puis repartir à l'aventure. Quand ? Je ne sais pas! Pour faire des photos j'aimerais aller là où on n'a pas l'habitude de voyager. J'avais vu un reportage sur les croisières en porte-container... Ce genre de chose peut-être. J'espère que ce livre va jouer un rôle de détonateur. Plus rien ne sera comme avant. Savoir que je peux mener à bien un projet aussi long, quelque soit les circonstances, donne envie d'en faire encore plus ! »

Damien Gugenheim expose des photos tirées de son livre JuxtAPOsitioNs du 31 janvier au 25 février à "Chapeau melon et piles de livre", au 11 rue des Lombards, à Amiens. 

Plus d'infos et achat du livre sur le site :
http://www.damiengugenheim.com/fr/accueil.html