vendredi 1 mars 2013

LA REVOLUTION COUVE



Journaliste radio pendant près de vingt ans, Philippe Couve, a vu sa carrière basculer avec l’arrivée d'Internet. Partisan du web de la première heure, il occupe actuellement le terrain du consulting et de l’enseignement. Aucun regret pour cet homme de médias moderne qui souhaite continuer à faire partie de l’avant-garde, « au croisement de la formation et de l’information ».

           
« Au départ, je me disais que j’allais être reporter-photographe, ou bien ébéniste » raconte Philippe Couve, 45 ans. Très vite, un professeur de français revenu de Kaboul attise la curiosité du collégien pour le voyage. « Je voulais voir comme les gens s’en sortaient ailleurs, explique-t-il, j’avais en tête le vers d’Aragon ‘‘Est-ce ainsi que les hommes vivent ?’’ ». 20 ans plus tard, il retrouvera également dans le web l’aspect artisanal qui l’ancre dans une dimension plus concrète que littéraire.

1988. Le jeune diplômé d’un DEUG d’économie, s’inscrit aux concours du CFJ et de l’ESJ. Loin de les passer par dessus la jambe, il y va néanmoins sans trop y croire. Ô surprise, il est admis haut la main à Lille et Paris. Il choisit Paris, sa ville natale.




« CAP de journalisme »

« L’intérêt du CFJ résidait dans l’aspect non académique des études. On était sur l’établi à côté du charpentier-maître. A l’époque, on disait ‘je fais un CAP de journalisme’’ » s’amuse l'ancien ''artisan journaliste'' . Il s’agit déjà pour l’apprenti « d’être porteur de questionnements éthiques dans la pratique, pour éviter de devenir un technicien ». On retrouve toujours un mouvement de balancier chez l’homme, entre radio et Internet, formation et information, technique et théorie. « En deuxième année, je ne voulais pas choisir. Je voulais tout faire ». C’est probablement de cette indécision initiale que vient son amour du multimédia.

En 1990, tout juste diplômé, Philippe Couve se lance finalement en radio. « J’ai fait un double-stage de fin d’études à France Inter, au service reportage, puis à RMC » détaille-t-il. Le débutant s’illustre en journaliste ‘‘couteau suisse’’, passant du journal du soir présenté depuis Monaco au flash de nuit sur France Inter, de l’AFP audio aux piges en presse féminine. Il pose enfin ses valises à RFI en 1992. Il y restera près de vingt ans.  


Les années ‘‘nuit blanche’’ à RFI : de la polyvalence au reportage

« J’ai d’abord passé une année à faire des remplacements sur tous les créneaux : revue de presse, tranche du matin, journal du soir… Puis de 1992 à 1995, je me suis levé à une ou deux heures du matin pour présenter les premiers journaux ». Loin de se plaindre, Philippe Couve tire du positif de ces années ‘‘nuit blanche’’. « Cela m’a appris mon métier » conclut-il.

L’humilité permet au mordu de l’antenne de concrétiser sa vocation de reporter. « Pour les présidentielles 1995, je prends ce que personne ne veut faire : couvrir simultanément la campagne présidentielle de Jean-Marie Le Pen et celle d’Arlette Laguiller ». Ce sera sa porte d’entrée au service reportage politique de RFI. Il sillonne alors l’Afrique et les Balkans avec l’adrénaline comme moteur, et une double-mission : « être un ‘‘pompier de l’actu’’ et développer des sujets au long court. C’était une période magique pour moi » confie-t-il.




« Mettre de la radio dans le web »

1995 représente un tournant dans la carrière du jeune reporter coïncidant à l’émergence d’Internet. Le bricoleur du web 0.9 crée sa première adresse mail et prend conscience du potentiel de l’invention. Philippe Couve est-il visionnaire ou simplement moderne ? 

A RFI, deux postes de rédacteurs en chef adjoint se libèrent au service web en 2000. Philippe Couve, qui signe ses premiers reportages multimédia deux ans plus tôt, n’hésite pas une minute. « Mes confrères étaient atterrés de ma motivation. Comme si j’allais réparer des ordinateurs ! » se rappelle-t-il. Rétrospectivement, le regard porté est honnête : « à l’époque, je vois dans le web un immense champ à labourer. Mais c’est seulement après avoir quitté RFI que je vois bouger le modèle économique. Jusqu’en 2006, j’ai essayé de mettre de la radio dans le web ». Philippe Couve aura ainsi passé plusieurs années à prêcher des profanes à la direction de RFI.


L’Atelier des médias : première web émission participative

Philippe Couve repasse alors du côté radio où il « essaie de remettre une dose d’Internet ». La web émission participative L’Atelier des médias voit le jour. C’est la première du genre en France consacrée aux nouveaux médias. Le programme s’appuie sur son propre réseau social. A l’époque, Twitter émerge à peine. Et Facebook n’est pas loin d’être une plateforme de drague pour copains d’avant.

« Sur RFI, le site Mondoblog a permis tout d’un coup à un Africain de s’exprimer sans passer par le truchement d’un média occidental », insiste Philippe Couve. « Les gens doivent pouvoir réaliser des choses ensemble en dehors de la radio. L’émission est un déclencheur ». Mais le partisan de l'amoureux du web ne peut que constater le divorce entre la logique horizontale de RFI et la sienne, ouverte aux réseaux.



« Être média, c’est être médiateur »

Si Philippe Couve veut démontrer qu’il reste en phase avec les grandes évolutions technologiques et sociétales, c’est pour valoriser la figure du journaliste créateur de lien. Si avant Internet, deux lecteurs se liaient à travers un magazine, un journal, « aujourd’hui, avec Internet, on peut provoquer l’échange à travers le contenu, les convictions, les centres d’intérêts… Être média, c’est donc permettre cette mise en relation. Et c’est probablement plus facile pour des gens de radio, car ça fait partie de son ADN ».

Les réseaux sont le centre de gravité autour duquel tournent bloguers et journalistes, tous internautes. « Le boulot des journalistes est donc de considérer que cet écosystème a changé, et d’essayer d’y retrouver leur place ». En 2010, Philippe Couve quitte donc RFI, persuadé que le bloguer de quinze ans d’aujourd’hui sera le leader d’opinion de demain. La transmission de l’information et du pouvoir est aussi dans l’ADN de ce fils de professeur des écoles qui ne tolère pas plus longtemps le conservatisme ambiant. 




« Un tsunami dans le monde de la formation »

Philippe Couve se lance dans l’aventure de pure players comme Rue89 et Owni, mais cette fois du côté de la formation. Il sent venir « les premières vagues d’un tsunami dans le monde de la formation ». « De la même manière que le monde de l’info a été chamboulé, celui de la formation va l’être. Je pense qu’il y a des projets extraordinaires à monter là-dedans ».



Arrivé en milieu de carrière, il semble ne plus avoir le désir de flotter sur la bouée de secours d’un océan de médias portés à bout de bras par les aides publiques. Il souhaite inscrire son activité non seulement là où on peut vivre, mais surtout où la nouveauté des projets réside vraiment : dans le conseil en développement éditorial, pour inventer des contenus adaptés aux nouveaux usages. « Aujourd’hui, je tire mes revenus des cours à l’école de journalisme de Sciences Po ou à l’université de Metz. Ma société Samsa est un organisme de formation professionnelle. J’interviens pour France Télé, Radio France, Nice Matin, La Voix du Nord. Mais aussi comme consultant pour des ONG comme Médecins sans Frontières qui rencontrent de nouvelles problématiques médias ».


« Un paysage en évolution constante »

On est en droit de se demander quelle est la part subie dans un tel parcours. Le consultant part d'un constat clair : le spectre d’un média généraliste avec des journalistes rubricards n’est quasiment plus finançable. La période est particulièrement instable. Il l’a vu venir. « Le réagencement des médias va prendre du temps car on est dans un paysage en constante évolution » prédit-il. Dans les sables mouvants économiques du numérique, il tente des alliances parfois infructueuses. En décembre 2011, il prend rédaction en chef de Newsring, premier site français de débats, fondé par Frédéric Taddeï. « Je suis parti après deux mois de production et un mois de mise en ligne, le jour où on a publié comme sujet : ‘‘Michael Vendetta doit-il faire de la politique ?’’ ».

Philippe Couve a des projets éditoriaux dont il ne peut encore parler. L’avenir est-il aussi incertain pour lui que pour les médias en général ? « La commission de la carte considère que ce qu’on fait en formation continue ou initiale n’est pas du journalisme, mais les photographes de presse people voient leur carte renouvelée sans problème ». De nombreuses questions (attribution de la carte, versement des aides…) restent donc en suspend. Et finalement, qu’est-ce qui pourrait le faire revenir au journalisme ? « Un projet intéressant ». Tout simplement.