vendredi 30 décembre 2011

THE DARK KNIGHT RISES : BOUCHE COUSUE

Le deuxième trailer de The Dark Knight Night Rises est déjà, 10 jours après sa propagation sur la toile, le plus vu de la micro histoire du format, et donne cours à toutes les spéculations. J’ai aussi passé un œil dans le trou de la serrure et suis resté bouche bée devant l’hébétude et la faiblesse physique qui annoncent, au commencement du Batman 3 de Chris Nolan, un héros à son crépuscule.


« Le masque juxtapose et mélange des êtres et des objets que la violence sépare. Il est au-delà des différences, (...). » (René Girard, La Violence et le Sacré)


Depuis Batman Begins, premier épisode du reboot, le héros n’est pas le seul à avancer masqué. L’épouvantail, psychiatre dans le civil, a le visage totalement recouvert, par un fétu de paille. Dans The Dark Knight, le maquillage du joker est à lui seul un masque dont le rouge à lèvre souligne et prolonge le sourire de l’ange, de la commissure des lèvres aux cicatrices. Le travail de Heath Ledger sur la voix est impressionnant, entre grotesque et grondements furibards, rires fous et murmures. Inversement placide, plus cruellement inexpressif encore, Bane, Dans The Dark Knight Rises, ne se cachera ni derrière une raison sociale, ni derrière un quelconque maquillage. Il porte un masque qui, dit-on, le ravitaille en gaz anesthésiant suite à une blessure, et lui cache les oreilles, le nez et la bouche. Sa voix s’en trouve déformée, à la Darth Vador. Au naturel, la voix de dur à cuire de Tom Hardy qui l’incarne, semble déjà faite pour intimider...

Bane démasqué (prologue)
Pour Batman c’est l’inverse : la seule partie exposée et reconnaissable du corps est la bouche, le bas du visage. Mais la voix est déformée elle aussi, saturant l’aspect atone du timbre de Christian Bale, coupant les graves, ce qui donne actuellement lieu à pas mal de parodies hilarantes sur le net, mettant en scène un justicier asthmatique qui aurait abusé des Monster Munch. Les voix aux hormones prévalent dans ce genre de film, assez loin des compositions plus carnavalesques de Danny de Vito et Jack Nicholson chez Tim Burton.

Dans nos sociétés, on ne peut pas tout être à la fois. On ne peut être le pauvre, le riche et le vengeur masqué. D'où la fonction du masque. Harvey Dent est dès le départ placé sous le signe des gémeaux, mais on ne voit encore que le chevalier blanc, le masque de la justice. Puis le masque social tombe et découvre sa dualité. Double face est un personnage paradoxal dont la moitié défigurée fait cohabiter le Bien et le Mal. Il est tel que ses pulsions le poussent à être. "Pourquoi devrais-je cacher ce que je suis réellement ?", dit-il au moment où il décide d'entrer en vendetta. Il essaie de tirer des informations à des psychotiques qui n'ont pourtant pas le même mode de fonctionnement que lui. Alors que le Joker porte le masque de la folie en permanence. Il est toujours le même et se défend pourtant d'être fou. Il explique aux mafieux que Batman a montré à Gotham leurs vrais visages. On a le sentiment que le combat contre le mal est un combat contre la folie extérieure et l'aliénation intérieure. Batman est tout le contraire, obligé d'alterner les masques (sociaux ou symboliques) pour maintenir son intégrité.

Blockbuster et pari artistique

Warner Bros avait, rappelons-le, engrangé 1 milliard de dollars de recettes avec le précédent épisode de la franchise. Un succès en grande partie dû aux parti pris artistiques audacieux pour un blockbuster : maîtrise absolue du rythme, du montage et des plans, composition d’un méchant sidérant éclipsant volontairement le super héros, dédoublements à l’infini de la figure du héros et du méchant, lutte aux frontières du bien et du mal, les termes du couple pouvant se retourner au moindre faux pas, réflexions en creux sur la nature d’un pur terrorisme dépourvu de motif politique, et les possibilités de le combattre en lui opposant des versions trafiquées de l’histoire - pour le chevalier noir, la fin, justifie les moyens -, absence de happy end ou cliffhanger facile, et surtout bon dosage des scènes de combats, dans un film d’action finalement assez psychologique.


Un Bruce Wayne hébété

Mais ce qui frappe le plus dans le trailer 2, c’est le caractère circonspect de Bruce Wayne, sermonné, informé, inquiété, averti, pris au piège. Il renoue ici quelque peu avec l'impression laissée par Michael Keaton chez Tim Burton il y a plus de 20 ans, toujours mutique, voire prostré, parfois simplement distrait, absent ; d’autres fois absorbé par ses pensées, sombre, sidéré par les malades qu’il doit prendre en chasse.

grand corps malade

gros comme une maison ou plan clé ?
Plusieurs plans montrent ici que Bruce Wayne a sans doute été blessé à un moment ou un autre puisqu’on croît voir son reflet dans une cloche, claudiquant à l’aide d’une canne, en robe de chambre. Sur un autre plan, le milliardaire fait son entrée dans une réception avec une canne à la main droite, celle-ci est à moitié dissimulée dans l'extrait où il sourit à Marion Cotillard (qui jouerait Miranda Tate), près d’une rambarde. La seule fois où il prend la parole dans le trailer, Wayne est en guenilles, dans une sorte de mélange entre une prison et la batcave. Il demande alors : « qu’est-ce que ça veut dire ? ». Un personnage lui répond : « relève-toi (rise) ».


Why do we fall ?

Dans la première scène de Batman Begins, le jeune Bruce tombe dans le puits de son jardin où quelque chose qui n'est pas encore tout à fait un ancrage névrotique - plutôt une terreur d'enfant - se produit dans l’agression par une nuée de chauve-souris. Son père qui descend dans cet enfer, bien harnaché, lui demande : « why do we fall Bruce ? So we can learn to pick ourselves up ». La chute sert à apprendre à se relever, aussi bêtement qu’au vélo - mais elle préfigure aussi l'idée d'une chute morale qui sera celle de Dent : l'incarnation de l'âme partagée de Gotham pour laquelle se battent en duel Batman et le Joker. L’héritier habitué aux hauteurs du manoir a déjà cette angoisse de la chute, peut-être liée au Gotham souterrain. Le jeune Bruce n'est pas très "underground". La rencontre avec le bas du panier, le fond des choses, que ce soit une grotte ou les rues mal famées des Narrows (quartier de Gotham peuplé par les pauvres et les criminels) est un choc qui lui révèle l'immensité des zones non éclairées de sa conscience et la possibilité de la déchéance.

Selon l'historienne de la psychanalyse Elisabeth Roudinesco dans son récent ouvrage Lacan envers et contre tout, Freud avait distingué 3 types d'angoisses dans le texte Inhibition, symptôme, angoisse de 1926 : l'angoisse devant un danger réel, l'angoisse automatique comme réaction à une situation sociale et le signal d'angoisse qui semble correspondre au cas du personnage Bruce Wayne (je sais bien qu'on ne traite en psychanalyse que de "sujets" et non de personnages) en tant que "mécanisme purement psychique qui reproduit une situation traumatique vécue antérieurement et auquel le moi réagit par une défense". Ainsi, répondant à ce signal d'angoisse, ne supportant pas la représentation (ou qu'il perçoit comme tel) des chauve-souris à l’Opéra, Bruce s'en défend en entraînant ses parents vers la sortie de secours, dans les bas-fonds où ils se font tuer sous ses yeux. Le paradoxe veut que le milliardaire qui aidait les pauvres se fasse tuer par l’un d’eux. Et si Bruce Wayne retourne toujours dans les bas-fonds, que ce soit dans la Batcave, où dans des quartiers miteux, c’est qu’il a été traumatisé par le meurtre de ses parents dans un tel quartier. Cet endroit de lui-même et du monde l’attire. Wayne s’éprend après tout de Rachel Dawes, la fille d’une domestique hébergée au manoir Wayne qui n'est par définition "pas de son monde". Il désire posséder sa peur pour ne pas qu'elle le possède - pari impossible -, mais veut surtout retourner ses propres peurs contre ses ennemis : le batsignal est un moyen de communication entre Gordon et Batman mais doit servir de signal d'angoisse au sens propre contre les truands.

l'entrée naturelle de la Batcave
Dans le premier trailer de The Dark Knight Rises, on voit clairement un plan de ce puits initial, en contre-plongée, quelqu’un essaie d’en escalader la paroi à mains nues. Dans le trailer 2, quelqu’un est capturé et descendu par ce qui ressemble à ce même puits, dans un antre. C’est là, au milieu d’un labyrinthe d’escaliers, de barreaux, qu’on voit Wayne faire des pompes et dans un autre plan poser la question « what does this mean ? ». Il est clair que ce troisième épisode confrontera plus que le précédent un Bruce Wayne quadra à la résolution de cette chute initiale. Il semble qu’il repassera par la case détention (sans doubler la mise). Comme si le roman initiatique de Bruce Wayne portait en lui-même un recommencement à un âge de sa vie gagné par le doute. En ce sens, Bane pourrait venir déterrer le secret de Harvey Dent, et du même coup celui du milliardaire.


« Démon-gardien » et perversion

Batman peut évoquer Achille pour la colère, le combattant exceptionnel, la gloire dans Batman Begins alors qu'Alfred, le tronc d’arbre, la mémoire généalogique, voire la voix de son maître, voudrait que cet alias soit associé au renom familial dont Wayne dilapide le capital moral pour mieux faire diversion. Il peut aussi rappeler Ulysse pour la dissimulation ou les identités multiples, la ruse qui lui permet de renverser toutes les situations où il est au bord du précipice (l'affrontement final avec le joker). Il est aussi l’aristocrate, comme le héros épique, qui peut grâce à sa fortune, son rang, asseoir son pouvoir et le rendre plus ou moins juste - n'oublions pas que l'histoire est initialement conçue à la fin des années 30. A la fin de The Dark Knight, il adopte enfin une posture christique en endossant la culpabilité de la faute de Dent, pour sauver les habitants de Gotham. Il fait alors le sacrifice du renom héroïque auquel le héros grec Achille n'a pas renoncé pour lui-même.

Wayne face à un Alfred désemparé
Wayne a cette capacité à disparaître au propre et au figuré, car il peut quitter sa place dans la société en abandonnant temporairement son nom pour se cacher, même si sa condition est irrémissible. Cela lui permet de diriger un jour un conseil d’administration, après avoir quelques années plus tôt volé des fruits en Chine. Mais en tant que Bruce Wayne, il sera toujours retrouvé et ramené au sommet d’une tour surplombant la mégapole que les « agents du mal » voudront abattre. Cette élasticité sociale extrême crée une tension intenable. Sans Batman, le mal prospère, mais avec Batman le mal devient mutant. De sorte que Batman est plus là pour aider les autorités légales à être fortes que pour vaincre ses propres ennemis. Il a besoin qu'un autre symbole, sans masque, se substitue au sien pour pouvoir arrêter d'être Batman. C'est l'urgence de retrouver Rachel qui peut lui faire se passer de son masque. Il mélange intérêt général et cause personnelle, ce qui lui fait instrumentaliser Dent y compris à titre posthume ! Mais petit à petit, il devient dépendant de/à Batman parce que, contrairement à Wayne, Batman, comme un dieu, n'a pas de limite.

Wayne pense : « en tant qu’homme de chair et sang, je serai ignoré ou détruit, mais comme symbole je peux être incorruptible et éternel ». Si l’on en faisait une lecture lacanienne rapide, on pourrait dire que Wayne ne vit pas Batman comme un sujet immergé dans un système symbolique qui le détermine, mais comme ce système symbolique lui-même. On n’a pas de relation avec Batman, ni d'échange (« l’amitié m’est un luxe qui m’est interdit »), ni gratitude (« vous n’aurez jamais à me remercier » répond-t-il à Gordon toujours dans le premier épisode). La nomination permet d’acquérir une identité, mais Batman, comme symbole, n’a pas d’identité sorti de ce qu’il fait et non ce qu’il est - tout comme le joker. Et c'est cette absence d'identité a priori qui fait que Wayne se sent bien dans sa tenue de chauve-souris qui représente sa propre ombre. Wayne a été initié au sein de la Ligue des Ombres. Contrairement au personnage de la nouvelle de Chamisso, Peter Schlemil, il n'aurait jamais vendu son ombre au diable. Il serait plutôt du genre à vendre Bruce Wayne au diable pour continuer à vivre dans son ombre, la projection sublimée de ses peurs.

Le Joker et Bane sont 2 figures de la perversion moderne. Le premier jouit de montrer à ceux qui ont des valeurs, des règles, qu’ils peuvent lâchement leur désobéir dans les moments de désespoir. Le second jouit, a priori, de maintenir sa victime en vie artificielle pour qu’au milieu de sa propre agonie, il assiste lui-même à l’anéantissement du monde en lequel il croyait. Le tout avec froideur, là où le joker est dans le pur plaisir, la mise en scène, parfois puérile.

Pour battre ces monstres, Wayne a été initié. Mais il possède aussi la richesse de l'aristocrate qui lui permet d’assimiler et de détourner comme autant de prothèses les prototypes militaires de la science. Son alias doit pouvoir englober le réel et s’y dissoudre à la fois. C’est grâce à cela qu'illégalement il se met en situation de Big Brother en passant contrat avec l’Etat américain pour coffrer le joker dans l’épisode précédent. L'Etat, les services secrets etc... sont étrangement absents dans The Dark Knight, et il semble que le prochain épisode pourrait avoir lieu dans un contexte moins lié exclusivement au "système Gotham City". Pour ne pas commettre de bavure, Batman devrait tirer l’intégralité de ses moyens d'action de Wayne Enterprises. Dès que le symbole s’associe aux pouvoirs publics ou agit pour des motifs privés (sauver Rachel), il transgresse l’incorruptibilité qui était la condition première de son existence. Or, Lacan - toujours expliqué par Roudinesco - "considérait la transgression comme aussi nécessaire à la civilisation que l'ordre symbolique qui permet d'y remédier". Et Batman a beau être un hors la loi, il est aussi le garant d'une idée de la civilisation.

La légende de Batman correspond donc à la croyance contemporaine qu’on peut en finir avec la perversion grâce à la science associée au 5e commandement ("tu ne tueras point" / "I only got one rule" dit-il au joker). Bruce Wayne est obsédé par l’idéal d’être un « démon-gardien », mais jamais un bourreau, jamais celui qui verserait dans le sacrifice ou plus simplement dans la vengeance. Un absolu que disqualifierait Elisabeth Roudinesco - mais son travail n'est évidemment pas d'évaluer la science-fiction - qui avertit dans La part obscure de nous-mêmes : une histoire des pervers : "notre époque qui croit de moins en moins à l’émancipation par l’exercice de la liberté humaine, et pas davantage au fait que chacun d’entre nous recèle sa part obscure, feint de croire que la science nous permettra bientôt d’en finir avec la perversion. Mais qui ne voit qu’en prétendant l’éradiquer, nous prenons le risque de détruire l’idée d’une possible distinction entre le bien et le mal, qui est au fondement même de la civilisation ?".

jeudi 29 décembre 2011

Yann Moix en interview


Alors que Roman Polanski a sorti son dernier film, Carnage, en décembre, retour sur une interview de Yann Moix, très engagé pour la cause du réalisateur à l’époque, notamment au sein de la revue de Bernard-Henri Lévy La Règle du Jeu. C’était le 25 juin 2010, quelques jours avant que la Suisse ne décide de relâcher l’artiste alors assigné à résidence.


Comment avez-vous commencé à vous impliquer pour la cause de Polanski à la revue La Règle du Jeu ?
Yann Moix : BHL a été le premier médiatiquement à réagir à cette histoire. Pour moi, avant même que je lise quoi que ce soit de BHL sur le sujet, j’ai immédiatement commencé à écrire mon livre La meute, comme le soir de la mort de Michaël Jackson. C’est une sorte de réflexe : à chaque fois qu’un type a tout le monde à dos (comme Raymond Domenech avec la coupe du monde) Je ne peux m’empêcher de le défendre même s’il a fait des choses graves, quand tout le monde est contre lui.

Les thèses de l’historienne et psychanalyste Elisabeth Roudinesco pourraient s’appliquer à Polanski. Elle rappelle que l’antijudaïsme médiéval s’exprimait dans la caricature et la dénonciation du juif en tant que détenteur des pouvoirs financiers et intellectuels, et du pouvoir de l’intellect. En cela, la justice californienne serait-elle selon vous une inquisition post-moderne envers Polanski ?
Le problème de Roudinesco c’est qu’à aucun moment de son livre on ne peut conclure qu’elle a une culture hébraïque. Pour Polanski, il y a cette idée que tous se valent. A travers un seul homme, on les vise tous comme dans l’affaire Dreyfus : on a attaqué le juif générique à travers lui. Comme s’ils ne faisaient qu’un. Or, en Israël, la complexité des juifs est totale. Dans ses spectacles, Arthur a par exemple subi les conséquences de la guerre de Gaza (27 décembre 2008 au 18 janvier 2009) comme s’il en était comptable.
En fait le mot juif apparaît dans la presse au moment où Polanski fait Rosemary’s Baby, film jugé insupportable, où de manière artistique il avance que Jésus serait une pièce à 2 faces. Jésus et le diable seraient la même personne. Il y a une sorte de vierge Marie de la bénédiction et de la malédiction. En 1969, l’Eglise ne lui pardonne pas et on se demande qui est ce mec : un métèque juif. La même année sa femme Sharon Tate se fait assassiner par le gang de Charles Manson. Il arrive de Londres, on ne lui laisse pas faire son deuil, mais en plus il est accusé par la presse d’avoir commandité le meurtre. Ici, il y a une référence au rouleau d’Esther (de l’Ancien Testament) avec une inversion carnavalesque du bourreau et de la victime. C’est peut-être théorique et tiré par les cheveux, mais chaque situation d’inversion relève d’antisémitisme pour moi. Le meilleur exemple c’est lorsque Tsahal est appelé SS.

Bernard-Henri Lévy reprend-t-il ce « Tous contre un » ?
A aucun moment, Bernard-Henri Lévy ne va pas aussi loin que moi. Je dis que c’est parce Polanski est juif que ça va si loin. On lui reproche son succès, sa célébrité et son succès auprès des femmes, quand on sait que le juge Rittenband avait à 68 ans des maîtresses de 20 ans. Il y a donc moins de différence qu’entre Polanski et Samantha Geimer.

Avec cette différence importante qu’à 20 ans on est majeur, 21 pour les Etats-Unis.
C’est certain. Et pour moi coucher avec une fille de 13 ans est punissable et mal parce qu’interdit dans l’absolu. En relatif, c’est moins grave que de coucher avec une fille de 6 ans qui ne sait même pas que la sexualité existe. Les malades qui cherchent des filles de 13 ans ont face à eux des filles qui cherchent leur sexualité pour les attirer, parfois les allumer, elles ne sont pas à l’aise vis-à-vis de ça. Pour une fille de 5 ans, la loi est là pour punir l’adulte, pour une fille de 13 ans la loi punit les 2 en disant à la fille attention le fait que tu cherches ta sexualité peut être très dangereux pour toi. Les 2 sont graves, mais il y a un pallier dans la gravité. Je ne défends pas la faute de Polanski à l’égard de Samantha Geimer, mais je n’appelle pas ça pédophilie pour autant.

La loi est néanmoins là pour protéger les mineurs qui ne peuvent par définition se protéger eux-mêmes… A la Règle du jeu, vous pensez que Polanski a été jeté en pâture aux médias ?
Aux médias et à Internet qui est à la fois un média et un moyen de communication : un médium. Il n’y a donc plus de frontière entre le journalisme professionnel et les réactions spontanées des internautes : aveugles, souvent incultes et toujours anonymes. Pour moi c’est le premier lynchage internautique comme Michaël Jackson est la première grande mort universelle car relayée par Internet à la vitesse de la lumière. On a peur de nos propres pulsions. Ceux qui vous fliquent font souvent ce qu’ils vous reprochent, Montaigne l’écrit. Les gens ont la complaisance de décrire les rapports de Polanski comme de vrais malades sexuels. C’est un moyen de faire passer en contrebande leurs propres problèmes par voie de presse…  

Quelle utilité ont eu les 2 pétitions initiées et véhiculées par La Règle du Jeu ?
Pour moi, les pétitions comme les colloques n’ont aucune utilité. J’ai signé la première pour être cohérent. Zemmour et Naulleau sont cyniques à la télé en disant que je défends ma famille. Polanski a dû détester Podium, et je ne le connais même pas. Il n’y a pas de famille dans la presse ni dans l’art. Personnellement, j’ai Régis Jauffret et Houellebecq comme amis.

Pourquoi tant de gens se regroupent autour de BHL ?
C’est son secret et sa magie : il met une pression telle sur les gens avec Maria de França qui est rédactrice en chef du site, qu’ils finissent par signer quelque chose qu’ils n’avaient pas envie de signer. Kundera est concerné. La meute existe, c’est l’internet aveugle, l’e-meute. Polanski pourrait se suicider rien qu’en tapant son propre nom sur Google et en y passant 5 minutes.

A-t-il souffert à travers ses parents et ses femmes de choses tellement effroyables qu’il en devienne une enveloppe de ses propres images cinématographiques et de celles de sa vie ?
Exactement. Il se confond avec son œuvre.

Mais avec The Ghost Writer : les journalistes ne s’exonèrent-t-ils pas d’un soutien médiatique qu’ils n’osent pas apporter en encensant le film ?
Le dénouement est mauvais, mais c’est un bon film. Les journalistes s’exposent moins que les artistes. Libération a systématiquement refusé les pages rebonds, avec une peur de publier des opinions qui ne sont pas les mêmes.

A La Règle du jeu, de quelle liberté jouissez-vous ?
Je fais souvent les choses à l’insu de BHL. Il essaie de me raturer, de me reprendre. J’ai écrit un texte sur L’enfant Jésus pour dire que la seule manière d’être fort c’est d’être infiniment faible. Entre pédophilie et théologie, et il faut voir le nombre d’affaires sorties en 2010, on touche à l’enfant et on viole le fondement même de l’Eglise. Mais BHL ne veut pas se mettre à dos l’Eglise catholique, car alors il ne serait pas libre de défendre Israël comme il l’entend. Ce que je dis, il le pense mais ne peut l’écrire parce qu’il est juif. Ce que je fais c’est du pain béni pour lui. Pour les Juifs je suis à la fois une bénédiction et une malédiction parce que j'aborde des thèmes qui les mettent parfois en danger. C’est important qu’un non juif puisse aller jusqu’au bout du processus, car ce langage est interdit aux Juifs.

Quelle est votre définition de l’antisémitisme ?
Mon maître Benny Levy avait lui-même pour maître Levinas. J’ai fait mienne la définition suivante : est juif toute personne à qui l’on viendra rappeler méchamment ou gentiment qu’il est juif. Il y a une irrémissibilité du juif. Cela vient en partie du fait que tant que la judéité sera définie par un lien du sang, ce sera héréditaire.
Le raciste est dérangé par la différence (on a peur de ce qu’on n’est pas). L’antisémitisme, c’est la haine de soi déclenchée par la ressemblance car le juif n’est pas repérable (on a peur de ce qu’on est). Quand on se hait soi même on va chercher celui qui nous ressemble le plus. En somme le raciste est plus sain que l’antisémite. L’antisémitisme dans l’affaire Polanski est la confusion entre le procès et la procédure. La punition c’est le procès : 33 ans de harcèlement !