Journaliste radio pendant
près de vingt ans, Philippe Couve, a vu sa carrière basculer avec l’arrivée d'Internet. Partisan du web de la première heure, il occupe actuellement le
terrain du consulting et de l’enseignement. Aucun regret pour cet homme de médias
moderne qui souhaite continuer à faire partie de l’avant-garde, « au croisement de la formation et de l’information ».
« Au départ, je me disais
que j’allais être reporter-photographe, ou bien ébéniste » raconte Philippe Couve, 45 ans. Très vite, un
professeur de français revenu de Kaboul attise la curiosité du collégien pour
le voyage. « Je voulais voir comme les
gens s’en sortaient ailleurs, explique-t-il, j’avais en tête le vers
d’Aragon ‘‘Est-ce ainsi que les hommes vivent ?’’ ». 20 ans plus tard, il retrouvera également dans le web l’aspect
artisanal qui l’ancre dans une dimension plus concrète que littéraire.
1988. Le jeune diplômé d’un DEUG d’économie, s’inscrit aux concours du
CFJ et de l’ESJ. Loin de les passer par dessus la jambe, il y va néanmoins sans
trop y croire. Ô surprise, il est admis haut la main à Lille et Paris. Il
choisit Paris, sa ville natale.
« CAP
de journalisme »
« L’intérêt du CFJ résidait
dans l’aspect non académique des études. On était sur l’établi à côté du
charpentier-maître. A l’époque, on disait ‘‘je fais un CAP de journalisme’’ » s’amuse l'ancien ''artisan journaliste'' . Il
s’agit déjà pour l’apprenti « d’être
porteur de questionnements éthiques dans la pratique, pour éviter de devenir un
technicien ». On retrouve toujours un mouvement de balancier chez
l’homme, entre radio et Internet, formation et information, technique et
théorie. « En deuxième année, je ne voulais pas choisir. Je voulais tout
faire ». C’est probablement de cette indécision initiale que vient son amour du multimédia.
En 1990, tout juste diplômé, Philippe Couve se lance finalement en
radio. « J’ai fait un double-stage
de fin d’études à France Inter, au service reportage, puis à RMC »
détaille-t-il. Le débutant s’illustre en journaliste ‘‘couteau suisse’’,
passant du journal du soir présenté depuis Monaco au flash de nuit sur France
Inter, de l’AFP audio aux piges en presse féminine. Il pose enfin ses valises à
RFI en 1992. Il y restera près de vingt ans.
Les
années ‘‘nuit blanche’’ à RFI : de la polyvalence au reportage
« J’ai d’abord passé une
année à faire des remplacements sur tous les créneaux : revue de presse,
tranche du matin, journal du soir… Puis de 1992 à 1995, je me suis levé à une
ou deux heures du matin pour présenter les premiers journaux ». Loin de se
plaindre, Philippe Couve tire du positif de ces années ‘‘nuit blanche’’.
« Cela m’a appris mon métier »
conclut-il.
L’humilité permet au mordu de l’antenne de concrétiser sa vocation de
reporter. « Pour les présidentielles
1995, je prends ce que personne
ne veut faire : couvrir simultanément la campagne présidentielle de
Jean-Marie Le Pen et celle d’Arlette Laguiller ». Ce sera sa porte d’entrée au service reportage politique de RFI. Il sillonne alors l’Afrique et les
Balkans avec l’adrénaline comme moteur, et une double-mission : « être un ‘‘pompier de l’actu’’ et développer des sujets au long court. C’était
une période magique pour moi » confie-t-il.
« Mettre de la radio dans le web »
1995 représente un tournant dans la carrière du jeune reporter coïncidant
à l’émergence d’Internet. Le bricoleur du web 0.9 crée sa première adresse mail
et prend conscience du potentiel de l’invention. Philippe Couve est-il
visionnaire ou simplement moderne ?
A RFI, deux postes de rédacteurs en chef adjoint se libèrent au service
web en 2000. Philippe Couve, qui signe ses premiers reportages multimédia deux
ans plus tôt, n’hésite pas une minute. « Mes confrères étaient atterrés de ma motivation. Comme si j’allais
réparer des ordinateurs ! » se rappelle-t-il. Rétrospectivement, le
regard porté est honnête : « à l’époque,
je vois dans le web un immense champ à labourer. Mais c’est seulement après
avoir quitté RFI que je vois bouger le modèle économique. Jusqu’en 2006, j’ai
essayé de mettre de la radio dans le web ». Philippe Couve aura ainsi passé
plusieurs années à prêcher des profanes à la direction de RFI.
L’Atelier des médias : première web émission participative
Philippe Couve repasse alors du côté radio où il « essaie de remettre une dose d’Internet ».
La web émission participative L’Atelier des médias voit le jour. C’est la première du genre en France
consacrée aux nouveaux médias. Le programme s’appuie sur son propre réseau
social. A l’époque, Twitter émerge à peine. Et Facebook n’est pas loin
d’être une plateforme de drague pour copains d’avant.
« Sur RFI, le site Mondoblog a
permis tout d’un coup à un Africain de s’exprimer sans passer par le truchement
d’un média occidental », insiste Philippe Couve. « Les gens doivent
pouvoir réaliser des choses ensemble en dehors de la radio. L’émission est un
déclencheur ». Mais le
partisan de l'amoureux du web ne peut que constater le divorce entre la
logique horizontale de RFI et la sienne, ouverte aux réseaux.
« Être média, c’est être médiateur »
Si Philippe Couve veut démontrer qu’il reste en phase avec les grandes
évolutions technologiques et sociétales, c’est pour valoriser la figure du
journaliste créateur de lien. Si avant Internet, deux lecteurs se liaient à
travers un magazine, un journal, « aujourd’hui,
avec Internet, on peut provoquer l’échange à travers le contenu, les
convictions, les centres d’intérêts… Être
média, c’est donc permettre cette mise en relation. Et c’est probablement plus facile
pour des gens de radio, car ça fait partie de son ADN ».
Les réseaux sont le centre de gravité autour duquel tournent bloguers
et journalistes, tous internautes. « Le
boulot des journalistes est donc de considérer que cet écosystème a changé, et
d’essayer d’y retrouver leur place ». En 2010, Philippe Couve quitte
donc RFI, persuadé que le bloguer de quinze ans d’aujourd’hui sera le leader d’opinion
de demain. La transmission de l’information et du pouvoir est aussi dans l’ADN
de ce fils de professeur des écoles qui ne tolère pas plus longtemps le
conservatisme ambiant.
« Un tsunami dans le monde de la formation »
Philippe Couve se lance dans l’aventure de pure
players comme Rue89 et Owni, mais cette fois du côté de la formation. Il sent venir « les premières vagues d’un tsunami dans le
monde de la formation ». « De
la même manière que le monde de l’info a été chamboulé, celui de la formation
va l’être. Je pense qu’il y a des projets extraordinaires à monter là-dedans ».
Arrivé en milieu de carrière, il semble ne plus avoir le désir de
flotter sur la bouée de secours d’un océan de médias portés à bout de bras par les aides
publiques. Il souhaite inscrire son activité non seulement là où on peut vivre, mais surtout où la nouveauté des projets réside vraiment : dans
le conseil en développement éditorial, pour inventer des contenus adaptés aux
nouveaux usages. « Aujourd’hui, je
tire mes revenus des cours à l’école de journalisme de Sciences Po ou à
l’université de Metz. Ma société Samsa est un organisme de formation
professionnelle. J’interviens pour France Télé, Radio France, Nice Matin, La Voix
du Nord. Mais aussi comme consultant pour des ONG comme Médecins sans
Frontières qui rencontrent de nouvelles problématiques médias ».
« Un paysage en évolution constante »
On est en droit de se demander quelle est la part subie dans un tel
parcours. Le consultant part d'un constat clair : le spectre d’un média généraliste avec des
journalistes rubricards n’est quasiment plus finançable. La période est particulièrement
instable. Il l’a vu venir. « Le
réagencement des médias va prendre du temps car on est dans un paysage en constante évolution » prédit-il. Dans les sables mouvants
économiques du numérique, il tente des alliances parfois infructueuses. En
décembre 2011, il prend rédaction en chef de Newsring, premier site français de débats,
fondé par Frédéric Taddeï. « Je suis
parti après deux mois de production et un mois de mise en ligne, le jour où on a publié comme sujet : ‘‘Michael Vendetta doit-il faire de la
politique ?’’ ».
Philippe Couve a des projets éditoriaux dont il ne peut encore
parler. L’avenir est-il aussi incertain pour lui que pour les médias en
général ? « La commission de la
carte considère que ce qu’on fait en formation continue ou initiale n’est pas
du journalisme, mais les photographes de presse people voient leur carte
renouvelée sans problème ». De
nombreuses questions (attribution de la carte, versement des aides…) restent
donc en suspend. Et finalement, qu’est-ce qui pourrait le faire revenir au journalisme ? « Un
projet intéressant ». Tout simplement.